Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Litter à taire
1 novembre 2013

Il empio Macigno (Scène 3)

Il empio Macigno (le Roc impérieux)

Troisième scène

 

   L’aspect général est sombre, presque noir. Il est possible que l’on ne voit que les visages des personnages, leur bouche, la lèvre inférieur. Peut-être sont-ils autour d’un feu invisible, mais aucun geste ne doit l’indiquer. Nous ne voyons pas leur main.

 Le personnage couché : C’est magnifique, tu sais. Jamais, je n’aurai pu croire que nous puissions les voir. Merde, si j’avais su, tu sais… Si j’avais su que… toi et moi, on serait un jour en train de les voir, je crois pas que…

Le second personnage, se levant et faisant quelques pas : Putain, moi aussi, je crois pas que j’aurai pu un jour. Là. Juste là. Pendant si longtemps, ça n’aurait pas été possible avant. Avant tout ça, jamais, jamais.

Le personnage couché, candide : Tu crois franchement qu’on aurait pas pu ? Moins fort, presque à lui-même. Survivre avec nos têtes de connards ?

Le second personnage : Je sais pas. Tout ce que je sais, c’est que je les ai vu encore une fois et que ça, c’est pas mal. Putain, c’est la première fois qu’ils sont si forts. Enfin, je veux dire que c’est la première fois que je les ressens si fort. Ils me pénètrent. Putain, regarde-les sous ma peau. Ils me font flipper. Ils grouillent, ils courent, ils montent jusque-là, ils feraient presque tout péter si je ne les empêchais pas. Mais, ils passent partout et nettoient, ouais, je crois que c’est ça, ils nettoient tout ce qu’il y a à bouffer là. Il s’arrête, un temps. Il regarde au loin, mais ne semble pas vouloir regarder trop l’horizon. Il reprend d’un ton neutre. Et t’as peur toi ?

Le personnage couché réfléchit quelques secondes, va pour répondre mais le second personnage l’en empêche.

Le second personnage : Attend, attend, je t’ai pas demandé de le dire, juste, peut-être de le montrer. Mais, ça, oui ça, je sais pas trop. Je suis pas comme toi. Ca, je l’ai toujours su, pas toi, je sais pas comment tu fais ! Tu les oublies tous…

Le personnage couché, éhonté : C’est pas vrai ! Tu veux rien comprendre. Tu crois que je le peux, tu crois que je me baisse pas parfois, si près de mes pieds que je semble dominer chaque action par l’art de ne rien faire.

Le second personnage, l’invectivant : Contorsionniste !

Le personnage couché : Non, je crois pas… Mais je suis pas sûr. C’est juste ma façon de prendre de l’envol comme tu le disais avant. D’ailleurs, j’ai pas oublié la peur avec ça. Mes lèvres se mouillent encore de la sécheresse de ma langue. Ca m’arrive de la passer comme ça. Il fait le geste, mais il a une moue de dégoût. Et de me dire, non, décidément, ça sera pas aujourd’hui ! Pas aujourd’hui pour lui non plus. Lui non plus. Et je me le répète, encore et encore. Il refait le geste. J’y arrive pas, t’entend, j’y arrive pas !

Le second personnage : Et dans ces moments là, t’as peur ? Il passe son doigt sur ses lèvres et les tire. Ouais, c’est assez drôle ! J’ai pas de problème, enfin, j’ai pas ce putain de problème… Ca change pas grand-chose, hein ?

Le personnage couché qui effectue avec suavité plusieurs tours de langue sur ces lèvres : Non, mais… Je crois que là c’est mieux. Alors, et alors seulement, comme le disent les meilleurs contes…

Le second personnage : Les meilleurs contes ? Les meilleurs contes sont souvent les plus anciens, non ? Les plus anciens, ce sont eux les meilleurs, les seuls que je puisse regarder les yeux dans les yeux.

Le personnage couché : Oui, c’est vrai… Donc, alors et alors seulement, je me rassure. Je crains moins et j’ai moins peur.

Ils s’arrêtent tous deux, il semble faire encore un peu plus sombre, presque l’obscurité.

Le personnage couché : T’es un beau salaud, tout de même, de ne pas avoir dit qu’elles étaient si grandes et si dures !

Le second personnage, marmonnant comme embêté : Arrête un peu avec ça. Un temps. D’une voix solennelle. Même malgré la mort, elle partit au loin. Par le grand voilier… Par le grand voilier… Les matelots… Je sais plus ! Les matelots étaient… Les matelots… Chaleur et meilleur espoir. Ô Chrysanthis, Chrysanthis la reine des catins. Les matelots étaient, étaient, ils étaient quoi déjà ?

Le personnage couché : …étaient fiers de partir de cette plaine. De cette plaine, où leurs épouses contractaient avec d’autres hommes, d’autres hommes qui partiraient, dans le centre bleu et magique de la terre, en oubliant Chrysanthis, Chrysanthis, la mère de toutes les catins. La moins vierge de toutes les saintes ! Ô Chrysanthis !

Le second personnage, un large sourire : Tu te souviens de tout cela ! C’est la première fois, non ? Ca fait toujours bizarre, quand c’est la première fois. Ca passe pas et c’est ça qu’est bien. Ouais, je crois que c’est vraiment ça qu’est bien.

Tous les deux, le sourire retrouvé : Et nous réclamions, Chrysanthis, Ô savoureuse Chrysanthis, chante-nous encore ta chanson, ton impressionnante chanson, celle des moments et des heures qui s’écoulent dans tes temps immémoriaux. Ô Chrysanthis, Ô Chrysanthis. Tu te troublas cette première fois lorsque tu reconnus ton amant le plus beau de tous tes amants. Ô Chrysanthis ! Puisses-tu encore nous chanter la noble chanson de ta lignée, à jamais… A jamais…

Le second personnage : A jamais ? Vraiment, à jamais ? Si jamais, ma petite maison, dans laquelle je dors tous les soirs…

Le personnage couché, l’interrompant : Dormais !

Le second personnage, comme interrompu dans une rêverie : Comment ? Quoi ? Qu’est-ce tu dis ?

Le personnage couché : Tu penses encore à ça ?

Le second personnage : Oui, pourquoi ? Tu vas pas me l’interdire ? Monsieur va me l’interdire ?

Le personnage couché : Si je veux, ouais !

Le second personnage : Tu parles. Justement, c’est ça le problème : tu parles.

Le personnage couché, semblant s’isoler par ces paroles : Prendre de la hauteur, serrer les dents et surtout, penser que les autres n’arriveront jamais à vos capacités. Vous êtes un self-made-man et vous allez forcément réussir. Le monde est fait pour vous. Il accélère, disant les mots qui restent presque d’une seule et même traite. Un-monde-où-femmes-et-enfants-sont-vôtres-un-monde-résidentiel-dans-quelques-quartiers-dont-apprécierez-l’ordre-et-le-calme-un-monde-où-les-valeurs-les-plus-élémentaires-seront-celles-de-votre-belle-famille-un-monde-pour-lequel-l’argent-et-la-réussite-seront-votre-force-votre-destinée-vous-ouvrant-tout-grand-les-bras-sans-oublier-votre-fidèle-et-toujours-serviable-chien-un-monde-fait-exclusivement-pour-être-heureux-un-vrai-monde-VOTRE-monde-oui-nous-disons-bien-VOTRE-monde-si-vous-le-voulez-bien-un-monde-vous-ouvre-les-bras-et-ne-demande-que-vous-que-vous-et-toute-votre-famille…

Le second personnage : La sainte famille, le bonheur même. Je vois ça d’ici. Mais oui, t’aurais été beau dans ce monde-là toi. Forcément, toi, toi, si peu important dans notre monde, ça aurait été idéal pour toi, pas à se battre, jamais, ni même se soulever, jamais, contre rien, rien à redire à rien, jamais, jamais l’échine courbée, jamais de quoi te la courber, ils disent, fabuleux comme monde ! Idéal complètement idéal ! Fabuleux ! Tu m’entends ? FA-BU-LEUX ! Mais, tu trouves pas que ce monde, c’est déjà un peu le nôtre hein ? T’as toujours jamais voulu voir, savoir, apercevoir, apprendre. Ne serait-ce que quelques secondes, parmi toutes les autres. Tu m’entends. T’aurais pas aimé de toute façon, parce que t’apprécies pas ce qui fait TON monde, TON vrai monde. Ecoute pas ses conneries, écoute pas ces conneries. Pas toi.

Le personnage couché : Non, j’écoute pas. Je me disais, simplement, putain que…

Le second personnage : T’as peut-être pas tous les torts de toutes façons, ça peut pas être entièrement de ta faute. Je le vois pas comme ça.

Le personnage couché : Voir le monde à la hauteur des pieds, c’est peut-être cela non ?

Le second personnage, désignant peut-être quelque chose : C’est peut-être elles qui ont raison, finalement ?

Le personnage couché : Elles semblent toujours avoir le dernier mot. Sauf en ce moment. Il y a d’autres trucs qui nous mènent ailleurs. Enfin, qui les envoient de partout. Elles surgissent, mais ne reparaissent pas. Et eux, d’où sont-ils, eux ?

 

Nuit totale ?

Publicité
Publicité
Commentaires
Litter à taire
Publicité
Archives
Publicité