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Litter à taire
16 septembre 2013

L'Homme fatigué

   Voici un récit bien étrange, même pour moi qui l’ai écrit il y a seize ans maintenant. Elle révèle évidemment mon  goût pour la littérature de Huysmans, mâtinée de quelque chose de Villiers de l’Isle-Adam.

 

   Qu’arrive-t-il  à cet homme, à son monde ? Difficile à dire. Dans cette prose, je manie aussi des termes-concepts qui figurent un moment totalement intellectualisé.

 

   Cela emprunte à la psychanalyse qui me fascine depuis tout jeune. Cette nouvelle en est empreinte.

 

   Il me semble qu’elle a été écrite en une ou deux nuits. Je crois me souvenir de son écriture à la lueur de quelques bougies, avec un côté très fin-de-siècle qui m’était cher à l’époque également.

 

   J’ai choisi aussi de garder les archaïsmes orthographiques volontaires de « faulx » et de « cruement » , bien entendu ces termes s’écrivent depuis le Dictionnaire de l’Académie de 1932 pour l’un « faux » et depuis Littrépour l’autre « crûment ». Mais, pour ce dernier, j’aime le voir écrit ainsi avec son « e » qui doit presque se prononcer, le rapprochant alors indéniablement de « cruellement ».

 

Quand je vous parlais de Villiers de l’Isle-Adam…

 

Place à la nouvelle !

 

L'homme fatigué

                                                                      

   Lorsque la seconde s'interrompit, il était dans la pénombre de son cabinet et regardait trois mots posés sur le papier blanc...

L'éternité s'offrait à lui dans un silence morne et terne que seuls les sages entendent. Il en profita pour réfléchir, poser devant son âme un miroir dans lequel l'esprit joue avec les clartés grises du souvenir... L'Eternité s'ouvrait et s'enflait prête à l'accueillir en son sein. Mais, il tourna la tête et vit son monde stoppé; la houle, la foule, le vent, tous avaient figé leurs gestes, leurs habitudes, plongés dans une hésitation perpétuelle. Même la faulx de la Mort suspendit sa course sur la nuque nue de Béastien Grassier. Paris arrêta ses noctambules errant en leur supprimant leur souvenance de quête merveilleuse.

   A ce moment, il osa se conter son histoire, qu'il conforma à la légende de ses ancêtres. A la longue histoire des ermites du Passé, de ces penseurs sans vergogne que l'obstacle ne dupe guère; il se livra, entier et unique... Ce flot le conduisit jusques aux fonds de l'âme dans lesquels il découvrit la honte du bonheur. Le bonheur pur qui l'effleurait, le touchait mais provoquait dans son ego, une sensation étrange de suspicion envers lui-même; car lui vivait, là où même les étoiles des cieux ne scintillaient plus, envoyant des pléthores de lumières rouges et ors tombant sur le sol en tâches immobiles. Il s'aperçut sur le miroir qui se brisa laissant apparaître une fente aiguë sur la surface, "pur reflet de vanité, se dit-il ".

Sur son lit proche, il se laissa tomber dégrafant sa chemise. La fente s'agrandit en laissant jaillir une lumière vive qui brûla son regard. Il devint aveugle, alors, pour mieux entendre. Un souffle suave le berçait, une rumeur masculine qui le portait à l'extase. La voix du silence lui parlait, l'Absolu racontait son histoire, confessait ses secrets et avoua sa faute. Un souffle comprima ses traits, le contrariant car il songeait que le temps avait achevé sa pause. Mais, il se rassura rapidement s'apercevant que sa Conscience l'avait quitté et s'était postée devant lui. Puis, elle recula, se dressa pour vivre son existence propre... Elle avait décidé de découvrir le monde par elle-même, et s'éloigna, inexorablement, sans signe d'Adieu. Il s'agissait là du meilleur moyen pour se créer une image du Monde. Néanmoins, il vint à regretter que ce monde fût suspendu dans sa course effrénée. Sa conscience ne verrait pas la beauté du geste, la naissance de l'instinct; elle ne sentirait pas le souffle quelquefois nauséabond de l'existence et de son sens...

   Il gît là, ne distinguant plus le fantôme pâle aux contours éteints. Il voulut juger du changement qui avait dû s'opérer en plongeant son regard dans la profondeur de la surface froide de la glace. Il put apprécier ce visage qui apparut de part et d'autre de la fêlure. Il ne vit pas le premier visage qui avait perdu certaines de ses couleurs; au contraire, il s'attacha au second dont le sourire ironique lui faisait la nique...

"Ah ça, il me le paiera" pensa-t-il, n'ayant plus conscience que cet homme moqueur n'était autre que sa propre image. Et, comme une parole divine surgissant de son corps, un mot fut lancé en guise de réponse "exactement". La joie d'avoir trouvé un interlocuteur le ravît, il posa quelques questions et fut étonné de ne sentir aucune réponse. Le second visage devint alors grave et accapara son attention, lui faisant oublier cet espoir de conversation.

   Il songea à la civilisation et à ses turpitudes. C'est ainsi que s'abîma la première image, à gauche de la fêlure. Elle était mue par une énergie propre et nouvelle qui semblait palpiter sous sa peau froide, et qui, étrangement, lui donna la faculté de rapetisser. Lorsqu'elle fut indiscernable dans le miroir, il lui prit l'idée de tout sonder et plongea dans le for intérieur de l'homme, disséquant son cerveau pour mieux le mettre en pièces et, ainsi, tirer les parties noires des parties rouges ou encore les parties rouges des parties blanches. Son cerveau souffrait terriblement car tant d'années de pudeur systématique étaient pillées et violées, la culpabilité régna alors en maîtresse.

Il voulut que la vie reprit son cours, il le désirait, car cette minute interminable était la cause de cette douleur. Il se mit, à cet instant de désespoir, à regarder fixement le dernier reflet. Celui-ci se dilata prenant de la place sur le miroir... Un nouveau regard fut jeté dehors, par la fenêtre; rien n'avait bougé. Pas même, cette phalène dont les ailes blanches étaient accrochées, définitivement, à la Voûte Céleste; son aile qui ne battait plus l'air, ne provoquait plus de tempêtes. La silhouette dans la glace, avait encore gagnée en amplitude. Cela intrigua fort l'homme qui resta attentif à ces nouvelles originalités. Et par un fait magnifique, la forme s'étala encore et s'assombrit jusqu'à devenir un voile noir qui couvrit le miroir, préférant ainsi ne rien montrer, le laissant face à un gouffre menaçant. Ceci eut pour conséquence de faire détourner le regard de notre homme; mais la tâche noire restait accrochée à l'iris de ses yeux. Puis, finit cruement par recouvrir entièrement sa vue. Pris d'un mouvement de panique, l'ami hurla...

   Alors enfin, la vie put reprendre son cours, sans jamais en dévier; le laissant là, fatigué...

 

            Achevé le 25 septembre 1998, à Minuit douze minutes

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