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Litter à taire
11 septembre 2013

Préface (pour mieux comprendre)

   Avant de publier cette préface, qui a été écrite, paradoxalement, entre janvier et avril 2002, avant de connaître mon Pierre, je tenais à en expliquer le pourquoi.

 

   Je ne voulais pas d’une préface classique, d’autant qu’elles se font rarement par les auteurs eux-mêmes logiquement, je voulais une préface-récit qui augure déjà de l’atmosphère d’attente qui est l’une de mes marques de fabrique.

 

   Elle est en grande partie fondée sur la chanson de Barbara, Pierre, qui servait d’ouverture musicale à beaucoup de ses concerts (en mars 2002, j’étais allé assister avec émotion, à l’Opéra Comique, au concert-hommage rendu par Rolland Romanelli, Gérard Daguerre et Dominique Mahut, avec le rocking-chair vide où reposait l’étole de plumes noires, éclairé par un spot de lumière bleutée ; la musique de la chanson ouvrait ce concert). Je suis fasciné par cette chanteuse, la justesse de ses textes, de sa voix et la sensibilité de la femme qu’elle était. La chanson fait partie de mes favorites pour l’atmosphère qu’elle développe de tristesse, mais aussi d’espoir.

 

   La différence, c’est que le narrateur est un homme. Certains accords le désignent comme tel en tous les cas. Mais il pourrait être n’importe qui. Ce fameux Pierre qu’il semble attendre en lisant un livre (mon recueil) fantomatique lui aussi, n’est plus. Est-il mort, parti, simplement absent ? Rien ne le dit. Rien ne dit, non plus, les liens qui unissent le narrateur à ce personnage. Amant, ami, familier ? Tout cela à la fois sans doute. Bien sûr, il y a des résonnances avec ce qui nous était arrivé cinq ans auparavant : la mort de notre père.

 

   C’est donc un premier récit, qui n’en n’est pas vraiment un, que je donne à lire pour mieux comprendre la suite...

 

 

La souris est dans la cave et la pluie, depuis de longs jours, ne cesse de tomber. L'opacité des lourdes gouttes d'airain empêche la lumière de pénétrer le logis.

   Malheureusement, il n'est plus...

   Le soir devrait étendre son voile, la plaine bleuit déjà. Il aurait dû être prés de moi. Mais, il est parti. Sans bon, ni mal heur, il ne reviendra sans doute jamais plus. La pluie est toujours là, caressant, inlassablement, de ses doigts humides le toit de la chaumière. Le feu crépite, il me faut y insérer une belle bûche, bien grosse, qui réussirait à me chauffer la nuit durant, qu'au petit matin, je me réveille dans la tiédeur de la chambre, que mon lit se fasse un espace complice dans lequel mon corps fourbu aimerait à se délasser.

   Les herbes folles dans le soir débutant ont la même couleur que ses yeux dans le jour éclatant. Mais, il n'est pas revenu...

Je l'ai attendu des jours durant, bien avant que la pluie ne commence à tomber. Triste, Pierre est parti. Triste, Pierre m'a laissé.

   La porte grince étrangement. J'ouvre et vois le chat sous le haut-vent passant sa patte dans son pelage grisâtre. Je le fais pénétrer dans la demeure, tournant autour de mes jambes, le dos rond et ronronnant, il se fait tendre. Je tire une chaise de bois dont le siége est en paille. Il me comprend et, d'un saut leste, s'installe devant la fenêtre. Sa queue court devant mes yeux. Nous regardons ensemble le paysage terni. Je passe ma main sur sa tête. Il m'exprime son contentement en miaulant doucement. Le chat se couche, le flan contre un livre.

   Je le feuillette, y lit quelques lignes. Rien d'extraordinaire, une suite de mots, probablement, sciemment choisis. Les phrases s'enchaînent étrangement, les événements se brusquent quelquefois. Mais, un procès impossible à qualifier s'y déroule, mon esprit se porte au-delà de la forme même, au delà du malaise de l'âme. C'est là que devrait se trouver le joyau, si joyau il y a. Tout doit se passer en silence, je n'oserait guère le proclamer en public, le public n'oserait l'entendre. Une honte malsaine nous prend à parcourir ces pages. Ce livre est "à taire" et je me trouve, en effet, interdit devant cette sensibilité qui résonne en moi-même. Il me semble trop difficile de l'exprimer autrement, le livre est "à taire"...

   Le chat a relevé la tête, ses oreilles étant à l'affût. La souris a dû sortir de la cave. Je le caresse, il se calme et se rendort...

Je ne veux pas que ce soir, le petit animal, soit le jouet de mon chat et d'un destin cruel. Ce doit être un livre nouveau, je ne me rappelle pas l'avoir acheté... Qui même l'a posé ici ? Peu importe, les mots m'emportent vers la contrée des sentiments, à moins que ce ne soit celle des idées noires. Certaines choses y sont touchantes, d'autres profondément indécentes. "A taire" résonne sur chaque ligne. Qui donc peut avouer lire l'imperfection d'une oeuvre nouvelle, car c'est une œuvre neuve qui s'ouvre à mes yeux désœuvrés de rencontrer tant d'offres terribles à l'abandon de soi-même. C'est se présenter dans l'intimité, dénudé devant le vide, devant rien, ni personne. Seul avec ce livre, seul avec son auteur ; à moins que ce ne soit lui qui soit nu et tristement seul devant nous ? Mon Dieu, il s'offre à nous et nous tend sa verge pour qu'on le batte ! Triste homme ! Pierre y est, c'est lui qui se dessine devant mes yeux.

   Pierre n'est plus, la campagne le pleure depuis tant de jour !

Le souffle du chat trouble le carreau de la fenêtre, sa queue court sur le pot en terre et sur les jeunes feuilles du lierre. La pluie coule sur les carreaux, les gouttes chantent doucement...

   La souris est reparue, ses pas glissent sur le parquet grinçant. Si petite, si légère, le doux animal s'agite. Mais, le chat dort, la tête posée dans le creux de ma main. Son dos frémit lorsque, à travers la fenêtre, les vents arrivent à passer. Le froid semble déjà là, et pourtant, ce n'est pas encore son époque. Lui ne nous a jamais véritablement quittés. La souris est là et sent notre présence. Amusante amie sur ses deux pattes mise, hume l'air attentivement. Peut-être avec le silence approchera-t-elle ? Elle longe les murs, où va-t-elle désormais ? Petit animal vif et alerte qui m'accompagne avec mon gracile chat.

   Je pose mon doigt sur le coin du livre et en tourne une nouvelle page. Que puis-je en dire ? Rien, peut-être. C'est là qu'est la trouvaille sûrement; je ne peux rien en dire. Néanmoins, il y a des choses desquelles il faudrait parler; mais, tout est "à taire", nous sommes interdits et j'interdis à ma raison d'en parler. Mon droit ne semble pas là, mon droit est de lire et d'attendre. D'attendre une fin, s'il y en a. La cessation de tout, du livre comme de la pluie. Pierre, lui, a peut-être, aussi... Non, pas Pierre, pas mon Pierre, la vie ne cesserait-elle pas comme un livre. Elle est finie, mais existe toujours. Comme le livre survit dans la bibliothèque jusqu'au prochain lecteur qui refera vivre les mots. Le livre ici, vit. Mais, celui-ci n'en a probablement pas la capacité. Ce livre ne devait jamais vivre et pourtant le voilà ouvert devant mes yeux. Mais, je me tais car la pluie redouble de force...

   Des perles blanches font des traînées en obscurcissant le proche horizon; des toits coulent des flots impressionnants, qui rejoignent la terre et coulent dans la rue pour rejoindre le ru, plus bas. Les pavés moussus résistent depuis tant d'années. Les iris sur les faîtes des maisons campagnardes verdissent de jour en jour, en redressant leurs feuilles drues. Ils ne fleuriront certainement pas cette année. Nonobstant, la chaume ne pourrira pas si les iris prolifèrent…

   La souris doit avoir trouvé quelques morceaux de pain qui, sous ses dents acérées, ne résistent point. Dans la cuisine, elle ne trouvera que peu de choses, la pauvre bête. Ma langue sur le majeur, je mouille le bout de mon doigt. Je découvre le livre...

Encore un bruit, ce n'est pas la souris. Le chat a sauté à terre, ses coussinets sur le sol de tomettes font un bruit de tampon de velours. Ce soir, il ne chassera pas, il a l'air trop fainéant. Demain, lorsque le jour se fera de nouveau, son envie sera grande de prendre le petit oiseau sur la branche étendue. Ce soir, ses paupières sont closes et confiantes. Il s'abandonne au plaisir de ma main, au plaisir de ma paume tiède et confortable.

   Le livre, ce livre, ouvert là, sous ma paume, dans la moiteur de la fenêtre. Nous veillons, lui et moi ; nous luttons contre la nuit dans les dernières lueurs du jour afin que de ne pas disparaître ; mais les mots ne sont-ils pas plus éternels que les hommes ? Ceux-ci doivent-ils rester, pouvons-nous leur en donner l’occasion, la chance, la joie ? Sans doute pas, l’exceptionnel tend vers l’indestructible, la préciosité hante nos cœurs. Ici, que dois-je garder ? Mon chat dort, ses flancs se détendent à chaque souffle. Nous unissons nos respirations.

   Encore un bruit… Il ressemble, je n’ose le croire, à tant de choses connues. Une douce mélodie qu’accompagnent des mots, des phrases, de tristes paroles. Je me surprends à lire à voix haute. Je ne devrais pourtant pas, cela brise le silence.

   Pourtant ce bruit, le bruit… Une voiture sur l’allée pavée… Une voix, la sienne, je crois. Il faut maintenant refermer le livre. La voix s'arrête... Faisons la encore entendre, je ne peux l'arrêter pour l'instant, j'en ai l'envie.

   Le chat ronronne... La porte s'ouvre...

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